Memories 2

Je ne savais plus vraiment quand ça avait commencé mais je le voyais partout. Avant il avait été une partie invisible de mon univers. Une de ces personnes que je croisais des milliers de fois sans jamais la remarquer. Maintenant chaque fois que je levais les yeux je l’apercevais, juste le temps d’un clin d’œil ou nous échangions un regard complice pendant ce qui m’apparaissait comme un moment infini. Ce qu’il y avait autour de moi se brouillait alors dans un marasme de couleurs et les sons ne me parvenaient plus que comme des bourdonnements mineurs. J’essayais d’être à mon avantage, je faisais la moue et arrangeait mes cheveux de mes doigts. Pourtant je me sentais toujours ridicule dans ce mini uniforme de pompomgirl que mon statut me forçait à porter quasiment en tout temps. Et j’étais désespérée de voir à quel point nos univers étaient différents et combien il m’était difficile de franchir la frontière qui les séparait. C’était de la peur, qui creusait mes entrailles et m’empêchait de trouver le sommeil la nuit. Mes pensées revenaient sans cesse à ce petit café, à nos conversations, à sa présence rassurante, au bien-être qui m’avaient envahie et à ce sentiment d’exister que j’avais connu. Le fait que je me sois mentit pendant toutes ces années m’avait soudain heurtée et laissée dans l’indécision la plus totale. C’était comme si je découvrais seulement la personne que j’étais à travers ses yeux et le reflet était flatteur. Oui j’appréciais bien plus cette Allie que celle que je m’efforçais d’être.

« Allie ? T’es dans la lune ou quoi ? »
« Donnez-moi une seconde. » répondis-je d’une voix atone et presque imperceptible. Serrant mes cahiers contre moi j’avançais dans le couloir à pas prudents. J’avais la gorge nouée. C’était comme sauter du haut d’une falaise. En moins douloureux. Quand je ne fus plus qu’à quelques pas du groupe que formaient Kaleb et ses amis tous les visages se tournèrent vers moi et à leur expression je voyais combien mon geste leur apparaissait comme curieux.

« Salut ! » dis-je d’une voix faussement enthousiaste, en faisant un mouvement de tête qui fit voler mes boucles blondes dans tous les sens, formule imparable contre les murs de testostérone. Mais ils continuaient tous à me fixer comme si j’avais été une extra-terrestre et que le bout de mon index allait se mettre à clignoter.

« Hum bon… Kaleb… » J’inspirais à fond. Great. J’avais le droit à mon banc de merlans frits privé. « J’ai eu une super bonne note à ce test de litté. Et je pensais que la moindre des choses c’était de te remercier. Alors y a cet espèce de truc dans deux semaines. Le bal de je sais plus quoi. Est-ce qu-… »
« J’y vais pas. »
« Ah ? Oh. »
« C’pas vraiment mon genre de truc. »
« Oui. Euh… » J’entendais déjà les ricanements de ses amis, j’imaginais la tête des miens, à savoir que j’avais brisé toutes les règles mais que j’avais réussi à me prendre un vent, moi. Allie Dewez. Phénoménal.
« Bon bien… » Sonnée je fis trois pas en arrière et me retournais pour m’éloigner, mon corps obéissant à je ne sais quelle attraction puisque je n’en étais définitivement plus maître.
« C’était qui je croyais que c’était ? » « Putain » « Mec t’as bouffé quoi ? » « Allie Dewez reine de la promo 0, Kaleb le bouseux 1 » « Putain trop bon » « De près elle a vraiment un joli petit cul »
« Allie ? »
« Hum ? » Je me retournais mais mon regard restait obstinément bloqué sur la pointe de mes chaussures. Si je relevais les yeux je ne savais pas si j’allais me mettre à hurler ou pleurer. Trop de sentiments se bousculaient en moi pour que j’y vois clair.
« Mais ça veut pas dire que tu peux pas venir avec nous. On avait prévu d’aller boire un coup dans un bar. Pas grand-chose mais bon… »
Silence.
« Je passerais te cher… » « Ok » « … si tu veux… » « D’accord… » « … mais… » « Kaleb oui ! »
Nouveau silence.
J’esquissais un sourire. Lui aussi. Puis je fixais de nouveau le bout de mes chaussures, me dandinant sur place. J’aurais pu laisser exploser ma joie mais trop de personnes s’étaient rendues témoins de la scène. Alors je disparaissais, un murmure suivant de mes pas. Quand j’arrivais de nouveau à hauteur de ma bande d’amis ils me fixèrent avec effarement.
« Quoi ? » Pour seul réponse j’eu le droit à un silence troublé puis ils tournérent les talons.
« Quoiii ? »